Le décret tertiaire : un tournant limité pour la rénovation énergétique du bâtiment ?

Le décret tertiaire : un tournant limité pour la rénovation énergétique du bâtiment ?

Le 25 juillet dernier, le législateur votait la promulgation du décret tertiaire n°2019-771 relatif aux obligations d’actions de réduction de la consommation d’énergie finale dans des bâtiments à usage tertiaire ; avant son entrée en vigueur prévu pour le 1 octobre 2019 qui fixera par des arrêtés d’application ses conditions précises d’application.

Pour rappel, le texte avait pour objectif de préciser les modalités d’applications de l’article.175 de la loi Elan (Évolution du Logement, de l’Aménagement et du Numérique) qui prévoyait dès 2018 la réduction de la consommation énergétique des bâtiments tertiaires. Ce décret était attendu par une large part de l’exécutif engagé dans le respect de l’environnement, après deux reports, le dernier en date, en 2017 par le conseil d’Etat.

Quelles sont les mesures prévues par le décret ?

La première mesure et sans doute la moins contraignante : la fixation d’objectif de réduction de la consommation d’énergie finale (par rapport à 2010) à échéance lointaine 2030, puis 2040 et 2050 et avec des réductions respectives espérées de 40%, 50% et 60%.

En plus de ces objectifs, le législateur prévoit une mesure plus concrète pour appliquer la réduction des consommations énergétiques. A partir de 2021, sera mise en place une plateforme pour récolter et suivre la consommation d’énergie finale des bâtiments pour appuyer la première mesure. Ces données seront insérées dans la plateforme par le propriétaire ou l’occupant et devront mentionner :

-« La ou les activités tertiaires qui y sont exercées »
-« La surface des bâtiments, parties de bâtiments»
-« Les consommations annuelles d’énergie par type d’énergie » -« l’intensité d’usage relatifs aux activités hébergées » -« les modulations du volume d’activité » -la part de la consommation d’énergie finale allouée à la « recharge des véhicules électriques ou hybrides rechargeables ».

Ainsi, ces données permettront d’avoir un aperçu sur le suivi de la consommation d’énergie et d’obtenir une évaluation des émissions de gaz à effet de serre relatives aux consommations énergétiques, exprimée en kg de CO2 équivalent par mètre carré.

A qui s’adresse le décret ?

Tout d’abord, le texte s’attaque en priorité aux bâtiments à usage tertiaire dont la surface est supérieure ou égale à 1000m². L’article 1 du décret précise les différents cas considérés :

-« Tout bâtiment hébergeant exclusivement des activités tertiaires sur une surface de plancher supérieure ou égale à 1 000 m2 ; les surfaces de plancher consacrées, le cas échéant, à des activités non tertiaires accessoires aux activités tertiaires sont prises en compte pour l’assujettissement à l’obligation »

-« Toutes parties d’un bâtiment à usage mixte qui hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2.»

-« Tout ensemble de bâtiments situés sur une même unité foncière ou sur un même site dès lors que ces bâtiments hébergent des activités tertiaires sur une surface de plancher cumulée supérieure ou égale à 1 000 m2. »

Les Exemptions 

Le décret prévoit également des exemptions dans le cas où les bâtiments, de par leur fonction, leur structure ou le coût des installations requises seraient contradictoires avec le bon fonctionnement des services et de l’état des immeubles.

L’article 1, précise les cas d’exemptions : -« Des constructions ayant donné lieu à un permis de construire à titre précaire » -« Des bâtiments […] destinés au culte » -« Des bâtiments […] dans lesquels est exercée une activité opérationnelle à des fins de défense, de sécurité civile ou de sûreté intérieure du territoire. »

L’objectif de réduction des consommations d’énergie finale est modulable dans les cas suivants où: -« [Ils] font courir un risque de pathologie du bâti » -« Entraînent des modifications importantes de l’état des parties extérieures ou des éléments d’architecture et de décoration de la construction » cette dernière modulation s’adresse aux bâtiments historiques, reconnus pour leurs qualités architecturales et ayant reçu des labels. -« en raison des coûts manifestement disproportionnés des actions nécessaires par rapport aux avantages attendus »

Mise en application

Le législateur prévoit des recommandations pour atteindre les objectifs fixés par le décret. Il encourage à prendre des actions améliorant « la performance énergétique des bâtiments », à recourir à des systèmes et équipements « de contrôle et de gestion active de ces équipements » (on pense à l’utilisation des GTB/GTC) et d’exploitation des équipements. La dimension pédagogique n’est pas omise puisque le texte mentionne le besoin « [d’] adaptation des locaux à un usage économe en énergie et le comportement des occupants. »

On déduit de ce texte, pour le besoin du bâtiment, de la présence d’un gestionnaire affilié au bâtiment centralisant les données et assurant le suivi énergétique. Pour parvenir aux objectifs fixés, la sensibilisation des occupants par leur responsable est une démarche à mener. Cependant, cette action seule ne peut conditionner la réussite des résultats. Des travaux de rénovation et le suivi sur le long terme de l’amélioration énergétique du bâti deviennent des priorités d’action. Notre société Immo Durable a pris la mesure de ce décret et cherche à y donner une application concrète par la formulation d’une offre qui réponde à ce besoin de performance énergétique. Nous avons placé l’analyse du bâtiment, l’identification des points d’amélioration, les travaux et le suivi ponctuel de la performance énergétique au cœur de notre action. Pour atteindre ces objectifs qui paraissent encore lointains, cela impose dès à présent des mesures pour s’y conformer et être encadré afin de prioriser son action.

Une plateforme dédiée

La seconde mesure prise par le législateur obligeant aux transferts des données de consommation d’énergie finale sur une plateforme gouvernementale ; gérée par l’Ademe ; imposera quant à elle une communication renforcée entre le propriétaire et l’occupant. Quel acteur collectera les données ? Qui les transfèrera à l’organisme désigné ? On peut penser que l’occupant sera avant tout le principal actionnaire de ce système puisque lui-même en charge de ses consommations. L’effet induit pourrait être la prise d’actions par l’occupant pour diminuer ses dépenses énergétiques du fait de leur plus grande visibilité et par le sentiment de contrôle par le propriétaire en cas d’usage excessif de l’énergie.

Outre ces effets attendus, le gouvernement, par cette mesure de suivi, entend bien entendu assurer un ciblage plus précis des bâtiments qui n’auraient pas pris de mesures pour anticiper l’échéance de 2030. Ce système de surveillance rappelle curieusement la généralisation des compteurs communicants largement diffusés dans les foyers français.

Contrôle et sanctions

Aucune mention n’est faite des sanctions en cas de manquement aux objectifs fixés pour les périodes de 2030, 2040 et 2050. Le décret prévoit cependant un contrôle accru pour le relevé des consommations énergétiques des bâtiments pouvant donner lieu à une mise en demeure du propriétaire de respecter ses obligations dans un délai de trois mois et pouvant aboutir à des amendes administratives d’un montant de 1 500 euros pour les personnes physiques et 7 500 euros pour les personnes morales.

Le débat suscité par le décret 

Néanmoins, plusieurs débats ont été créés à la suite de ce décret. En premier lieu, l’exclusion par ce décret de tous les bâtiments tertiaires ayant une surface inférieure à 1000m².

En effet, en délaissant le petit tertiaire, le décret limite sa portée, déjà limitée par les échéances lointaines posées. Ainsi, les mesures restent indicatives pour les prochaines années et encouragent peu les propriétaires à prendre des mesures. Tant que la contrainte n’est pas présente, la mobilisation sera au point mort. Immo Durable cherche à accompagner pour faire connaître ce décret et encourager les propriétaires à être des acteurs proactifs sur le plan énergétique. Plutôt qu’être dans l’attente des échéances et des sanctions financières qui en découleront.

Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, affirme prendre la mesure de l’impact du petit tertiaire sur l’environnement. En effet, sur son compte Twitter, il annonce dès la rentrée, la réunion du Comité de pilotage de la charte tertiaire « pour réfléchir ensemble à la façon d’encourager la rénovation énergétique du petit parc tertiaire , non concerné par le décret. Un défi de premier plan que nous relèverons ensemble ! »

D’autre part, l’autre débat porte sur la base des objectifs : l’énergie primaire finale et non sur l’énergie entrante. En faisant ce choix, le décret évite les longs débats sur le type des énergies utilisées et n’encourage pas les propriétaires à recourir aux énergies renouvelables.

Un décret tertiaire qui avance sur la performance énergétique du bâtiment mais qui n’est pas suffisant compte tenu des objectifs de la COP21. Pourtant, le bâtiment doit agir pour limiter ses déperditions énergétiques et réaliser des travaux d’aménagement pour améliorer ses performances.